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Culture et société

La nature et les médias

Jean Paré, journaliste et auteur

D'un livre d'histoire du futur :

«Vers la fin du XXIe siècle, les famines dues à la destruction d'habitats et à la pénurie d'eau condui­sirent les trois puissances centrales à interdire l'élevage sur toute la planète. Les quinze milliards d'humains furent nourris de soya, de maïs, de riz et de quelques autres plantes cultivées pour leurs vertus particu­lières. Presque tous les animaux sauvages furent exterminés, si petits fussent-ils, tant l'extrême rareté de la viande leur donna de la valeur. Ce que l'on appelait la cuisine disparut. Le plaisir de manger suivit. On fabriqua des tablettes nutritives, dites équilibrées, en si grande quantité qu'elles étaient distribuées ­gratuitement. Trois unités par jour suffisaient à garder quelqu'un en parfaite santé. L'obésité, regardée comme une obscénité et fortement réprimée, devint un mode de protestation, tout comme la ­consommation d'hallucinogènes “naturels”...»

Toute technologie désuète devient le contenu de la suivante, avait compris Marshall McLuhan, et un nouvel objet de consommation ludique. Pouvons-nous vraiment intervenir pour empêcher toutes les catastrophes écologiques annoncées, puisque nous les avons parfaitement intégrées dans le cadre de la normalité médiatique? Hier, c'étaient le progrès technique et la stupéfiante découverte des lois de la matière qui faisaient la une des journaux et l'émerveillement du profane devant notre destin en or. Aujourd'hui, la destruction des forêts, l'extermination des grands fauves, la raréfaction des espèces, la désertification des grandes prairies, l'empoisonnement des eaux, la mort des océans et le réchauffement de l'atmosphère sont au menu du spectacle quotidien. Les sagas hollywoodiennes projettent cet avenir de fin du monde en accéléré, de telle sorte que la réalité présente nous apparaît somme toute comme un moindre mal.

Ce grand spectacle en direct qu'est la destruction de notre milieu de vie, ces cauchemars de science-fiction, sont-ils le début et la condition d'une nécessaire réaction? Ou sont-ils plutôt ­l'expression de la résignation générale? D'être spectateurs ne nous cache-t-il pas que nous sommes d'abord et surtout les ­acteurs de cette dérive?

La pensée sera peut-être éventuellement détachée de la vie. Le destin des livres anciens était d'être retrouvés en fragments dans quelque urne scellée de cire au fond d'une grotte ou dans quelque monastère du Caucase, en traduction arabe ou armé­nienne. Si l'on a le temps de transférer les fonctions de l'esprit humain dans quelque indestructible cristal, l'avenir des œuvres d'aujourd'hui est peut-être de survivre quelques millions d'années sur une Terre déserte ou dans des artéfacts interstellaires. Avec de la chance, on y aura ­inclus des logiciels pour notre recons­titution matérielle!